Il ne me fait pas jouer, mais je mérite le respect » : La souffrance silencieuse des jeunes footballeurs oubliés
“Il ne me fait pas jouer, mais je mérite le respect” : La voix silencieuse des remplaçants
Un dossier pour donner des mots à celles et ceux qu’on laisse trop souvent sur le côté : titulaires, remplaçants, non-convoqués — tous méritent le même respect.
87e minute. 0 explication. WhatsApp froid. Chaque week-end, dans le football amateur, des milliers d’enfants vivent la même scène : rester assis sur le banc de touche, attendre une convocation qui ne viendra pas, ou entrer quelques minutes en fin de match comme si leur présence ne comptait pas. Cet article plonge dans la souffrance silencieuse des jeunes footballeurs remplaçants et oubliés (joueurs de réserve, non-convoqués), un sujet crucial pour les parents, éducateurs et dirigeants.

« Il ne me fait pas jouer, mais je mérite le respect » : La voix silencieuse des remplaçants
Quand le banc de touche devient une épreuve de l’âme
Il est 14h30, un samedi après-midi. Lucas, 13 ans, enfile son maillot dans le vestiaire. Ses mains tremblent légèrement. Pas de stress, non. D’anticipation. Encore une fois, il sait qu’il va probablement rester assis. Encore une fois, il va regarder ses coéquipiers courir pendant que lui compte les minutes.
Mais Lucas, au moins, il sera là. Sur le banc. Dans le groupe. Visible.
Yanis, lui, est resté à la maison. Encore. Son téléphone est posé sur son bureau. Il le regarde toutes les cinq minutes depuis 17h hier. Le message des convoqués est arrivé sur WhatsApp. Et son nom n’y figure pas. Encore.
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Les trois cercles de l’exclusion
Dans le football amateur, il existe une hiérarchie cruelle que tous les jeunes connaissent :
Les titulaires : Ils jouent. Tout le temps. Parfois mal, mais ils jouent quand même. Les intouchables.
Les remplaçants du banc : Ils sont là physiquement. Mais absents du jeu. Assis 90 minutes. Échauffés au cas où. Prêts au cas où. Mais le « cas où » n’arrive presque jamais. Ou seulement dans les cinq dernières minutes, quand tout est joué.
Les non-convoqués : Ils ne sont même pas sur le banc. Restés à la maison. Oubliés. Rayés de la liste. Ils existent uniquement le mardi et le jeudi soir à l’entraînement.
Aujourd’hui, nous allons parler des trois. Parce que tous méritent le respect.

Le vendredi soir : l’attente qui tue
Le message qui ne vient jamais
18h47, vendredi soir. Le téléphone vibre. Groupe WhatsApp « U15 – Saison 2024/2025 ». Yanis déverrouille son écran, le cœur battant.
« Salut les gars, voici le groupe pour demain : Mathis, Tom, Enzo, Maxime, Dylan, Nathan, Lucas, Hugo, Théo, Samir, Rayan, Kevin… »
Yanis relit. Une fois. Deux fois. Trois fois. Son nom n’y est pas.
Dans sa chambre, il pose son téléphone. Ses yeux piquent. Il a 14 ans et il vient de comprendre qu’une fois de plus, demain matin, pendant que ses « coéquipiers » joueront, lui restera à la maison.
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Le samedi matin : trois réalités, trois souffrances
Yanis : celui qui reste à la maison
9h30. Yanis est encore en pyjama. Ses parents essaient de positiver. Mais il n’a envie de rien.
10h15. Sur son téléphone, il voit les stories Instagram de ses « coéquipiers ». Ils sont sur le terrain. Ils s’échauffent. Ils rient. Ils existent. Lui est invisible.
Comment pourrait-il se sentir concerné par une équipe qui l’oublie ?
Lucas : celui qui est sur le banc
10h00. Lucas arrive au terrain. S’échauffe sérieusement. Parce qu’on ne sait jamais. Peut-être qu’aujourd’hui sera différent.
11h15. Le match est lancé depuis 45 minutes. Lucas n’a pas quitté le banc. Il compte les minutes. « Il reste 30 minutes. Si le coach me fait rentrer maintenant, je jouerai au moins une demi-heure. Si il attend 75 minutes comme d’habitude, je jouerai 5 minutes pour rien. »
11h42. 87ème minute. Le coach se tourne vers le banc : « Lucas, tu t’échauffes, tu rentres. »
3 minutes de jeu. Son cœur bat. Pas d’excitation. De rage. De frustration. À quoi ça sert ?
Il entre. Touche deux ballons. Le sifflet final retentit.
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Le remplaçant : l’assurance tous risques du coach
« Tu es là au cas où »
C’est la phrase qu’on entend le plus. « Tu es là au cas où quelqu’un se blesse. »
Traduction : tu es là pour servir les autres. Pas pour jouer.
Le remplaçant n’est pas vu comme un joueur à part entière. Il est vu comme une solution de secours. Une roue de secours. Un plan B qu’on espère ne jamais utiliser.
La torture des 90 minutes
Minute 1 à 30 : « Je vais peut-être jouer dès la mi-temps. »
Minute 60 à 80 : « Bon, je vais jouer au moins 15-20 minutes. »
Minute 85 : « Encore une fois, il va me faire rentrer pour rien. »
Minute 90+ : « Voilà. 3 minutes. Comme d’habitude. »
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Les 5 minutes d’humiliation

Le changement « pour la forme »
87ème minute. L’équipe mène 4-0. Ou perd 0-3. Le match est plié. Le coach se tourne vers le banc.
« Vas-y, tu rentres. »
C’est censé être une chance. Une récompense. Dans la réalité, c’est une humiliation déguisée.
Les statistiques cruelles
Une saison type pour un remplaçant « classique » :
– 20 matchs sur le banc
– 12 entrées en jeu
– Temps de jeu moyen : 6 minutes
– Temps de jeu total : 72 minutes
– Soit l’équivalent de 0,8 match complet sur toute la saison
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Quand être remplaçant devient une identité
« Je suis le remplaçant de… »
Le pire moment pour un jeune footballeur ? Quand il commence à se définir par sa place sur le banc.
« Je suis le remplaçant de Nathan. » « Je suis celui qui rentre quand on gagne large. »
Son identité devient « je suis un remplaçant ». Et ça s’ancre.
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La lâcheté du message WhatsApp
Quand l’éducateur se cache derrière un écran
Un message. C’est tout ce que ça prend pour briser un cœur d’enfant.
Pas d’explication. Pas de conversation. Juste une liste de noms envoyée sur un groupe. Froid. Impersonnel. Brutal.
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Les chouchous, les costauds, et les fils de…
La hiérarchie invisible
Dans chaque équipe, il y a une hiérarchie officieuse mais bien réelle. Et souvent, elle ne repose pas sur le talent.
Les « présumés nés » : quand le physique prime
Ils sont grands. Costauds. À 13 ans, ils en font 16. Alors on les aligne systématiquement. Parce qu’ils font gagner les matchs.
Mais à quel prix ? Ces jeunes stagnent techniquement. Pendant ce temps, les plus petits, ceux qui ont besoin de jouer pour développer leurs qualités techniques, restent sur le banc.
Et à 16-17 ans ? Les « costauds » se retrouvent dépassés techniquement. Mais les petits sont déjà partis. Dégoûtés.
Les chouchous et les fils de…
Le chouchou : Celui que le coach aime bien. Celui qui joue même quand il est moins bien.
Le fils de… Le fils du président. Le neveu de l’entraîneur adjoint. Celui dont les parents sont « amis » avec le coach. Ils jouent. Peu importe leur niveau.

« Faire de la licence » : l’humiliation économique
Quand l’enfant devient un numéro
Il y a une expression horrible : « faire de la licence ».
Ces jeunes qu’on recrute non pas pour les faire progresser, mais pour grossir les effectifs, remplir les caisses du club.
On prend leur argent. Et on les oublie.
L’injustice des « joueurs gratuits »
Les clubs repèrent un joueur performant ailleurs. On lui offre la licence. Parfois les équipements. Pourquoi ? Parce qu’il va faire gagner l’équipe.
Le problème ? Ce joueur « gratuit » prend la place d’un jeune qui paie plein pot. Qui s’investit depuis des années.
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« Je suis une merde » : les mots qu’on ne devrait jamais entendre
Quand l’exclusion devient une sentence intérieure
Les adultes sous-estiment la violence psychologique de l’exclusion répétée.
Tous développent la même conviction : « Je suis nul. Je ne vaux rien. Je suis une merde. »
Kylian mesure 1m58. Il pèse 48 kilos. Il n’est « pas assez costaud ». Alors il se sent nul.
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Les parents qui paient, les parents qui souffrent
L’investissement invisible
350€. 400€. Parfois 500€ par an. Pour certaines familles, c’est énorme. On se prive. On économise. Parce que son enfant aime le football.
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Ce qui devrait être, mais qui n’est pas
En préformation (U6-U13) : tout le monde doit jouer
C’est une règle de la FFF. En U6 à U13, le temps de jeu doit être équitablement réparti. C’est obligatoire.
Pourquoi ? Parce qu’à cet âge, on éduque. On fait découvrir. On développe. On ne sélectionne pas.
Combien de clubs respectent cette règle ? Trop peu.
En formation (U14-U19) : le respect minimum
Oui, il y a de la sélection. Mais il y a un minimum de respect :
- Expliquer individuellement pourquoi un jeune ne joue pas
- Donner un plan de progression concret
- Faire rentrer les remplaçants avant la 80ème pour leur donner une vraie chance
- Communiquer en face, jamais uniquement par message
- Ne convoquer que ceux qu’on compte faire jouer
Pour aller plus loin : U17-U19 : le dilemme entre football et vie personnelle
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Les histoires qui redonnent espoir
Jonathan : du banc au centre de formation
« De 12 à 14 ans, je n’ai presque jamais joué. J’étais petit, léger. Mon éducateur ne me convoquait même pas. À 14 ans, j’allais arrêter. Un nouveau coach est arrivé. Il m’a dit : ‘Jonathan, tu as des qualités techniques que beaucoup n’ont pas. Si tu travailles ton explosivité, tu vas devenir très bon.’ Il m’a fait un plan. Il m’a fait jouer. 20 minutes, puis 30, puis titulaire. Aujourd’hui j’ai 17 ans et je suis en centre de formation. »
Samir : du remplaçant 5 minutes au capitaine
« Pendant deux saisons, j’ai été le remplaçant qui rentre à la 87ème. J’en pouvais plus. Un jour, j’ai osé. J’ai demandé à mon coach : ‘Pourquoi je joue jamais ? Qu’est-ce qui me manque ?’ Il m’a dit ‘Tu es trop tendre. Tu évites les duels.’ On a travaillé ça ensemble. Et petit à petit, il m’a donné du temps de jeu. Vraiment. Aujourd’hui, je suis capitaine. »
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Le remplaçant d’aujourd’hui, le héros de demain
Les légendes qui ont connu le banc
- Luka Modrić : trop petit, souvent sur le banc. Aujourd’hui : Ballon d’Or.
- N’Golo Kanté : trop discret dans les catégories jeunes. Aujourd’hui : champion du monde.
- Karim Benzema : remplaçant à ses débuts à Lyon. Aujourd’hui : Ballon d’Or 2022.
- Fabio Grosso : jouait en Serie C à 24 ans. À 28 ans : but décisif en finale de la Coupe du Monde 2006. Champion du monde.
Qu’ont-ils en commun ? Des éducateurs qui ont cru en eux. Qui leur ont donné leur chance. Et une volonté de fer de ne jamais abandonner.
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Le message aux éducateurs : le courage de la vérité
Vous blessez déjà. Par votre silence. Par vos messages WhatsApp. Par ces entrées à la 87ème minute.
Un jeune préfère mille fois une vérité difficile qu’un mensonge par omission.
Dites-lui : « Tu ne joues pas parce que défensivement tu es encore fragile. Voilà ce qu’on va travailler. Et quand tu y arriveras, tu joueras. Vraiment. Pas 5 minutes. Vraiment. »
Les 10 commandements de l’éducateur digne de ce nom
- En face tu parleras : jamais seulement par message
- Tous tu respecteras : titulaires, remplaçants, non-convoqués
- Le talent partout tu chercheras : pas seulement chez les costauds
- Le favoritisme tu banniras : ni chouchous, ni fils de…
- Équitablement tu feras payer : pas de joueurs « gratuits » privilégiés
- Honnêtement tu expliqueras : pourquoi, et ce qu’il doit améliorer
- Un plan tu donneras : des objectifs clairs, atteignables
- Du temps de jeu tu offriras : pas 5 minutes, une vraie chance
- En eux tu croiras : le remplaçant d’aujourd’hui est le titulaire de demain
- L’humain avant le résultat tu placeras
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Le message aux remplaçants : ne lâche pas
Je sais que c’est dur. Que tu as mal. Que tu ne comprends pas.
Si tu es celui qui reste à la maison
Ce n’est pas un problème avec toi. C’est un problème avec lui.
Tu as deux choix :– Exiger une explication : demande un rendez-vous. Pose les questions.- Partir ailleurs : trouver un club où on te respectera.
Les deux choix sont valables. Les deux sont courageux.
Si tu es celui qui est sur le banc
Continue à travailler. Et ose demander plus.
Demande : « Coach, je veux jouer. Qu’est-ce que je dois améliorer ? Et quand je l’aurai amélioré, vous me donnerez vraiment du temps de jeu ? »
S’il te répond vaguement, tu sauras. Ce n’est pas ton club.
Si tu es celui des 5 minutes
5 minutes, ce n’est pas une chance. C’est une illusion.
Dis-le : « Coach, merci. Mais je ne peux pas montrer ce que je vaux en 5 minutes. J’ai besoin de plus de temps. Comme ça, vous pourrez vraiment voir. »
S’il refuse, pose-toi la question : est-ce que ce club me respecte ?
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Le message aux parents : votre rôle est crucial
N’ayez pas peur d’exiger des explications. Votre enfant paie sa licence. Il mérite du respect.
Les questions à poser
- « Pourquoi mon enfant ne joue-t-il pas / si peu ? »
- « Quels sont les points précis qu’il doit améliorer ? »
- « Quel est le plan pour l’aider à progresser ? »
- « Quand pourra-t-il avoir une vraie opportunité ? »
Si l’éducateur ne peut pas répondre clairement, c’est qu’il n’a pas de plan. Et un éducateur sans plan n’est pas un éducateur.
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Conclusion : Le football est un sport collectif, pas sélectif
Un remplaçant n’est pas un joueur de seconde zone. Un non-convoqué n’est pas un rebut. Un jeune qui rentre 5 minutes n’est pas un privilégié.
Ce sont des coéquipiers. Des êtres humains qui s’investissent, qui paient, qui espèrent.
Le traiter avec respect, ce n’est pas de la charité. C’est de l’humanité. C’est de l’éducation. C’est du football.
Celui qui est sur le banc aujourd’hui sera peut-être celui qui fera gagner l’équipe demain. Celui qui reste à la maison cette année explosera peut-être ailleurs l’année prochaine. Celui qui rentre 5 minutes deviendra peut-être titulaire dans six mois.
Mais pour ça, il doit encore être là. Il doit encore croire. Il doit encore sentir qu’il compte.
Et l’éducateur ? L’éducateur détermine si tu auras la chance d’aller quelque part.
Un enfant, un adolescent, un jeune adulte a un cœur. Un vrai éducateur le respecte. Toujours. Qu’il soit titulaire, remplaçant sur le banc, ou absent de la convocation. Tous méritent le respect. Tous méritent une explication. Tous méritent une chance..vraiment.
FAQ — Respect & temps de jeu (football amateur)
- Pourquoi parler des remplaçants et des non-convoqués ?
- Parce que l’exclusion silencieuse blesse de nombreux jeunes. Le respect doit être identique pour titulaires, remplaçants et non-convoqués.
- Qu’impose la FFF en U6–U13 ?
- Une répartition équitable du temps de jeu pour tous les licenciés.
- Et en U14–U19 ?
- La sélection existe, mais elle doit s’accompagner d’explications claires, d’un plan de progression et d’un vrai temps de jeu quand on convoque.
- Que peuvent demander les parents ?
- Pourquoi l’enfant ne joue pas, ce qu’il doit améliorer, quel plan est prévu, et quand aura-t-il une opportunité réelle.
- Que peut faire un jeune qui ne joue jamais ?
- Demander un rendez-vous pour des critères précis… et, si le respect n’est pas là, chercher un club où il sera considéré.
Mot de fin
On ne forme pas des classements, on forme des personnes. Donner du temps, de la clarté et du respect ne coûte rien — et ça change une saison, parfois une vie. Qu’aucun Lucas, aucun Yanis ne traverse ça en silence.
© Brigade du Foot